BO JUYI

BO JUYI
BO JUYI

Bo Juyi est un type. Fonctionnaire lettré, il fit, dans la première moitié du IXe siècle, une carrière honorable mais sans éclat, dont son œuvre littéraire, en dévoilant les ambitions et les passions de l’homme, explique les détours. Une carrière moyenne, des passions moyennes, mais auxquelles le génie de l’écrivain a conféré une valeur exemplaire. Bo Juyi a déclaré lui-même que son œuvre était la traduction de tout ce qu’il avait aimé, senti ou réalisé. Il n’a cessé en effet de «se raconter»; les quelque trois mille sept cents poèmes qui nous sont parvenus de lui constituent une longue chronique de son existence. Outre la poésie, il n’est guère de genre dans lequel ce parfait lettré ne se soit distingué. Des recueils de ses «récitatifs» – fu – ou de ses «jugements» – pan – servirent de manuels aux étudiants qui préparaient les examens d’État. Et c’est sans doute par centaines qu’il faut compter les documents officiels qu’il rédigea au nom ou à l’adresse de l’empereur.

Fluctuations d’une carrière

Bo Juyi était issu d’une lignée de fonctionnaires provinciaux qui n’avaient jamais fait parler d’eux. Lorsqu’il naquit en 772 en Chine, dans le Henan, sa famille vivait pauvrement. Ces difficultés s’accrurent lors des troubles des années quatre-vingts, qui virent la rébellion de plusieurs gouverneurs militaires, la fuite momentanée de l’empereur, des dévastations et des famines. Les biographes de Bo insistent sur les impressions qu’ont dû lui laisser les horreurs de cette époque. Malgré la précocité de ses dons, ce n’est qu’avec plusieurs années de retard qu’il put passer en 800 l’examen de jinshi. Mais ses talents littéraires lui valurent d’être admis rapidement à l’académie Hanlin, puis d’accéder au poste de censeur impérial où, pendant deux ans (808-810), déployant une activité intense et courageuse, il multiplia les critiques à l’égard de la politique impériale. Après une retraite de trois ans, pendant lesquels il porta le deuil de sa mère, une nouvelle audace le fit bannir, en 815, à Jiangzhou – l’actuel Jiujiang dans le Jiangxi –, où il vécut libre et oisif, parcourant les monts du Lushan et s’y faisant construire un cottage. Ainsi débuta la deuxième étape de sa carrière: Bo cessa de jouer un rôle politique actif, et se contenta désormais, malgré les chances que lui offrait l’ascension des Yang, ses parents par alliance, de postes sans gloire et sans danger. Il fut notamment préfet de Dongzhou dans le Sichuan, dont les aborigènes lui semblèrent des sauvages, de Hangzhou, où, entre autres travaux d’intérêt public, il fit réparer la digue qui porte encore son nom, et enfin de Suzhou. Dans les intervalles de ses séjours en province, il occupa plusieurs postes dans l’administration centrale et s’éleva jusqu’au rang de vice-président du ministère de la Justice. La troisième et dernière étape de son existence s’ouvrit en 829, lorsqu’il se retira à Luoyang, dans la propriété qu’il avait acquise quelques années auparavant, pour n’en plus bouger jusqu’à sa mort.

Le censeur et l’auteur satirique

Lorsque Bo eut été nommé censeur, il chercha, pour marquer sa reconnaissance, à faire le meilleur usage possible des deux cents feuilles de «papier censorial» qui lui étaient allouées chaque mois pour ses remontrances. Se réglant sur le modèle confucéen du bon conseiller – «les yeux et les oreilles» de l’empereur –, il s’appliqua à «sauver le monde», sans craindre les puissants: il combattit les ambitions des gouverneurs militaires ou des eunuques, qui mettaient la dynastie en péril, il dénonça la corruption, la dureté ou l’incurie de l’administration locale, il prit la défense de la paysannerie, proposa une réforme de la fiscalité et plaida la cause des opprimés. Sa voix fut souvent écoutée, mais il offensa de hauts dignitaires.

Non content de jouer ce rôle traditionnel, Bo lui donna un prolongement original dans son activité poétique. Il prétendit retrouver l’esprit des antiques chansons du Shi jing , dont la simplicité cachait de hautes leçons sociales ou politiques. La décadence de la poésie avait été enrayée, selon lui, par Chen Zi’ang et Du Fu, dont il salua l’inspiration généreuse. Mais il formula plus nettement qu’eux la tâche à accomplir. Dans une lettre à son ami Yuan Zhen, écrite en terre d’exil à la fin de 815, il exposa quelle avait été jusque-là sa doctrine et répartit son œuvre poétique en quatre groupes de textes (ce classement a été respecté jusqu’à nos jours). Dans le premier, celui des «poèmes didactiques» – fengyu shi – prenaient place cent soixante-dix pièces environ, les plus chères au cœur du poète réformateur. Le noyau en était constitué par cinquante «nouveaux yuefu », où revivait l’esprit satirique des chansons des Han, héritières directes du Shi jing. Ces chansons, pensait Bo, auraient dû voler de bouche en bouche, et si l’empereur, comme les anciens rois, s’était mis à l’écoute des refrains et des rumeurs, elles auraient fini par lui parler des souffrances du peuple.

Ces ballades, qu’elles concernent les horreurs de la guerre (Le Vieillard manchot de Xinfeng ), la misère paysanne (En regardant la moisson ) ou les drames de la condition féminine (La Concubine impériale aux cheveux blancs ), n’ont pas la froideur des œuvres trop concertées. Plus encore qu’un théoricien, Bo était un homme sensible. Au spectacle des souffrances de son entourage, ce petit propriétaire, ce fonctionnaire aisé avouait ouvertement sa mauvaise conscience. Il finit peut-être par s’en accommoder. Pas avant, toutefois, d’avoir crânement combattu les abus et les maux qui le révoltaient.

Le «demi-reclus»

Son expulsion de la capitale et son exil auraient mis fin à cet engagement. Impuissant à réformer la société, Bo aurait renoncé à des efforts qui le mettaient personnellement en danger. En fait, bien avant sa déception, il avait manifesté sa nonchalance et son aversion pour les tracas du monde. Ce penchant s’affirma dans sa solitude forcée. Ayant besoin, pour faire vivre sa famille, des appointements d’une charge officielle, il tâcha d’en diminuer le plus possible les responsabilités et les risques. Entre la vie agitée du politicien et le dénuement de l’ermite, il choisit la voie moyenne du «demi-reclus».

La philosophie confucéenne le justifiait suffisamment: lorsque les temps ne lui sont pas favorables, le sage se résigne à son destin et cultive son moi. Mais Bo chercha un secours supplémentaire dans deux autres doctrines, le taoïsme et le bouddhisme. Son œuvre abonde en réminiscences de Zhuangzi et il tenta lui-même de fabriquer la drogue d’immortalité – bien qu’il ait condamné par ailleurs ces pratiques ruineuses. Il fut un bouddhiste convaincu, entretint de bons rapports avec les moines de plusieurs sectes, surtout celle du Chan (Zen en japonais) et voulut être enterré aux côtés de son maître Ruman. En réalité, il demandait à la religion la paix de l’âme, plus qu’il ne s’intéressait aux notions proprement bouddhiques de la compassion universelle ou de la transmigration. Le syncrétisme de sa pensée est caractéristique de l’évolution des esprits à son époque.

À la suite des satires et s’opposant à elles, un deuxième groupe de poèmes, dits du «contentement paisible» – xianshi shi – orrespond à cette quête personnelle de la sagesse et rappelle l’inspiration de Tao Yuanming. Le poète y prend figure d’épicurien raisonnable, affiche la modération et chante l’art de se contenter paresseusement de l’absence de tout souci. Les thèmes favoris de cet art de vivre sont la musique et le vin, les fleurs et les arbres, l’amitié et la méditation. Dans les dernières années, la sérénité de Bo, physiquement diminué, démontra les ressources de cet optimisme délibéré.

La gloire de Bo Juyi

Les «nouveaux yuefu » de Bo Juyi ne furent appréciés, de son propre aveu, que par un petit nombre d’amis, et ne suscitèrent, chez les grands, que l’étonnement ou la colère. Cependant, le poète connut de son vivant une gloire immense. Ce sont, à vrai dire, ceux de ses poèmes qu’il estimait le moins, les pièces de circonstance des troisième et quatrième groupes, écrites à l’occasion d’une rencontre, d’une séparation, d’une excursion, qui lui valurent cette célébrité. La simplicité de leur langue, une loquacité jusqu’alors inconnue dans la poésie chinoise, soucieuse avant tout de concentration, le pas donné à la narration extensive sur l’allusion, ces qualités imprévues leur assurèrent un succès quasi universel dans toutes les classes de la société, et jusque parmi les étrangers, Coréens et Japonais, qui s’empressèrent d’en acquérir des recueils. Plusieurs anecdotes du temps attestent la vogue des poésies de Bo Juyi, notamment des ballades, comme celles des Regrets éternels et du Pipa , ou des pièces qu’il échangeait avec Yuan Zhen, auquel il fut lié d’une amitié devenue légendaire. Si, par la suite, certains lettrés ont affecté de mépriser la «vulgarité» de Bo Juyi, il a cependant mérité de briguer, derrière Li Bo et Du Fu, le troisième rang parmi les poètes des Tang.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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